L’invitation faite à Amélie Bonnin de montrer son premier film de fiction en ouverture du Festival de Cannes était peut-être un cadeau empoisonné… Mais la réception de Partir un jour dans la presse française est plutôt positive, sauf pour la cinéphilie auteuriste qui fait la fine bouche – voir France-Culture ou Libération1>O. Lamm, «‘Partir un jour’ avec Juliette Armanet, quand la musique est morne», Libération, 13 mai 2025.: «Choisi pour ouvrir la 78e édition de l’événement, le ‘film-karaoké’ d’Amélie Bonnin, où l’actrice-chanteuse interprète une vedette des fourneaux, transfuge de classes de retour au bercail, veut rassembler les publics et les territoires à coups de clichés.»2>Partir un jour, film français d’Amélie Bonnin, 2025.
Ce film est une excellente illustration des stéréotypes genrés qui imprègnent la «liberté de création» et du profit qu’il y aurait à poser un regard critique sur les scénarios de ce point de vue (sans parler des biais de classe et de «race»). La réalisatrice a d’abord raconté cette histoire dans un court-métrage homonyme avec un protagoniste masculin: «Lorsque j’ai écrit le scénario du court, je ne me suis pas posé de questions: mon héros, spontanément, était un garçon. C’est seulement lorsqu’on me l’a fait remarquer, après, que ça m’a sciée. Je suis une femme, je travaille dans un magazine féministe (La Déferlante) et je donne le rôle moteur à un homme alors que l’histoire que l’on raconte ne le nécessite absolument pas: cela montre bien comment le patriarcat a infusé notre esprit! Du coup, pour le long-métrage, j’ai vraiment eu envie d’offrir une partition plus longue à Juliette Armanet (qui interprétait déjà l’héroïne du court-métrage). De fait, ce que j’ai envie de raconter, ça ne peut passer que par une femme.»3>Propos tirés du dossier de presse.
Que raconte Partir un jour? Une jeune cheffe qui a trouvé la notoriété grâce à sa participation à une émission culinaire s’apprête à ouvrir avec son compagnon un restaurant gastronomique à Paris. Mais la crise cardiaque de son père la contraint à retourner dans l’est de la France où ses parents tiennent un relais routier. Alors qu’elle s’aperçoit qu’elle est enceinte et qu’elle programme son avortement, elle revoit son amoureux de lycée et leur bande de copains: contrairement à elle, les trois garçons eux n’ont pas bougé et continuent leurs soirées très arrosées et leurs courses de motocross du dimanche.
Fable sur une transfuge de classe, le film est rythmé par des refrains populaires que les acteurs et actrices entonnent à tour de rôle (y compris lors d’une séquence de rap très réussie dans une boite de nuit). La présence dans le rôle principal de la chanteuse Juliette Armanet est une révélation: elle impose son profil en lame de couteau pour exprimer les rapports affectueusement conflictuels de Cécile avec son père – François Rollin qui reprend «Cécile ma fille» de Nougaro –, avec sa mère – Dominique Blanc qui donne une belle interprétation de «Paroles, paroles» après Dalida –, avec Raphaël, son premier amour – Bastien Bouillon à contre-emploi – et avec Sofiane (Tewfik Jallab), son compagnon venu la retrouver et apprenant par son père qu’elle est enceinte. Le film entrelace intelligemment les questions de genre (la grossesse non désirée), de classe (le père a noté dans un carnet toutes les remarques méprisantes sur les restos routiers proférées par Cécile lors de son passage à l’antenne) et on note une banalisation bienvenue de l’origine arabe du compagnon.
On retrouve certains éléments présents dans Vingt Dieux, le premier film de Louise Courvoisier (2024) concernant le monde rural, en particulier des loisirs très genrés: les jeunes hommes font des courses de motocross sous l’œil indulgent ou complice de leur femme et enfants. Les soirées se terminent par des bastons, auxquelles les compagnes assistent plus ou moins résignées. Le monde des routiers est plutôt une toile de fond qu’un élément structurant du récit et on peut regretter que Partir un jour porte un regard un peu trop complaisant sur les manifestations d’immaturité masculine, enjolivées par le rap.
En revanche le choix fait par Amélie Bonnin de changer le genre du personnage principal est d’autant plus pertinent que l’ascenseur social, via l’excellence scolaire, fonctionne aujourd’hui en France plus pour les filles que pour les garçons. Et le film propose un autre personnage féminin intéressant incarné par Amandine Dewasmes, l’épouse de Raphaël – sage-femme (alors que lui est garagiste) potentiellement rivale – porteur d’une belle solidarité féminine.
Notes