Dans certains milieux, toute critique de la politique israélienne est vite taxée d’antisémite. Que vous ayez toujours rejeté le racisme et l’islamisme, qu’importe: si, avant tout propos sur la Palestine, vous n’affirmez pas le droit d’Israël à se défendre et ne condamnez pas dix fois les crimes du Hamas, vous voilà jugé hostile aux juifs! Gaza passe à l’arrière-plan.
Aucune nuance. Antisémite, celui qui dit qu’un certain sionisme s’avère clairement de nature colonialiste, alors même qu’il est admis que les Israéliens s’emploient à coloniser toute la Cisjordanie. Antisémite, celui qui relève que l’idéal sioniste n’est pas ou n’a pas toujours été partagé par tous les juifs, qui démontre que des nationalistes s’en sont même parfois réclamés pour prôner le transfert des israélites européens sous d’autres cieux. Antisémite encore, celui qui note que toute agression raciste est plus fortement médiatisée selon qu’elle cible des juifs ou des musulmans.
S’il est indispensable de dénoncer toute atteinte portée à un citoyen au nom de sa judéité, relevons de fait que les supporters français d’Israël ont des indignations sélectives, visant d’abord la sphère LFI, comme si la droite avait toujours brillé par la clarté de ses positions. Molle réprobation de leur part face à un défilé extrémiste de mille personnes dans Paris, certaines munies d’insignes nazis. Et ils ont peu critiqué la récente réception officielle en Israël d’organisations racialistes européennes, pas plus qu’ils ne bronchent quand la stratégie génocidaire de Netanyahou est approuvée par Marine Le Pen, présidente d’un parti dont le fondateur s’avérait antisémite. Auraient-ils oublié que, selon le rapport 2024 de la Commission consultative française des droits de l’homme, l’hostilité classique à l’égard des juifs reste toujours plus forte à l’extrême-droite qu’à l’extrême-gauche?
Au plan international, quel silence des pro-Israéliens sur la récente visite de leur champion à la Hongrie d’Orban, laquelle réhabilite ce régent Horthy qui, le premier à édicter des lois anti-juives dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, a peu réagi en 1944 pour empêcher la déportation de près de 500’000 juifs par son allié hitlérien.
Rien non plus de leur part sur le bras levé d’Elon Musk devant l’AFD allemande (lui dont le système d’IA relativise la Shoah), rien sur le récent débat électoral polonais, où un des candidats à la présidence s’est dit antisémite. Et eux qui saluent l’évangélisme américain, ils oublient que cette mouvance défend Israël uniquement parce qu’un nouveau Messie devrait apparaître là-bas, amenant les juifs à se convertir, de force si nécessaire. Diable, ils ne veulent pas critiquer des mouvements que soutient Trump, ce très grand ami d’Israël.
Et quand ce dernier réprime des étudiants qui dénoncent le calvaire de Gaza (certains de confession juive), quand il prétexte l’antisémitisme pour brider des universités hostiles à son sectarisme, quand ses adeptes vous forcent à parler de Judée-Samarie au lieu de Cisjordanie, où sont ceux qui, invoquant les persécutions qu’ont souvent subies les juifs, disent militer contre l’intolérance et le racisme?
Sans parler encore de l’ancienne proximité de ministres israéliens avec le Qatar, un Etat qui a hébergé et financé le Hamas, organisation islamiste dont ils ont même facilité l’essor en vue d’affaiblir le mouvement laïc palestinien. Et pas de protestations de leur part quand Trump négocie avec ce groupement terroriste la libération d’un otage israélo-américain, ou même quand il félicite le chef de la nouvelle Syrie, naguère à la tête d’un mouvement islamiste plus radical que le Hamas. La droite pro-israélienne pourfendrait Mélenchon pour beaucoup moins que cela!
Elargir l’antisémitisme à toute critique d’Israël, c’est en limiter le champ, oublier l’essentiel de ce qu’il faut lui reprocher, l’essentialisation d’un peuple, sa démonisation. A Washington ou ailleurs, agresser des juifs pour ce qu’ils sont (quelle que soit leur affiliation politique), c’est là un acte raciste inadmissible. Incriminer les politiciens (israéliens ou non) qui justifient les massacres et les déportations à Gaza, c’est obéir à un réflexe humaniste légitime; à cet égard, il n’y a rien de plus antisémite que le discours sioniste radical qui nie aux Palestiniens ce droit à exister que d’autres idéologues extrémistes ont toujours voulu refuser aux juifs.